- Mai 1960, victoire du MNC (Mouvement National Congolais) aux élections
- 30 juin 1960, indépendance du Congo
- Mutinerie de la Force Publique & Sécession du Katanga
- L'affaire Lumumba
- Le Premier Ministre Lumumba est proclamé « héros national »
En mai 1960, les élections donnent la victoire au MNC du Premier Ministre Lumumba, qui cède cependant la présidence au Président Kasavubu, après la proclamation de l'indépendance, à Léopoldville, le 30 juin 1960.
Le jeudi 30 juin, le Congo devient indépendant. Le scénario de cette journée est connu tant les récits qui la relatent sont nombreux : un Te Deum fut célébré dans la cathédrale Sainte-Anne, avant la séance solennelle dans la grande salle du Palais de la Nation, où trois allocations furent prononcées, alors que l'on n'en avait prévu que deux : Baudouin 1er, arrivé la veille, rendit hommage à l'œuvre coloniale et invita les nouveaux dirigeants à parfaire l'œuvre accomplie (Discours du Roi Baudouin). Le Président Kasavubu manifesta sa reconnaissance à l'égard de l'ancienne métropole (Discours du Président Kasavubu).
Après les deux discours protocolaires, le Premier Ministre Lumumba prit la parole, mais son propos s'écarta de ce qui avait été apparemment convenu. Il fit le contre-bilan de la colonisation, énonça ses revers, à savoir les injustices, les inégalités, l'exploitation, le mépris (Discours du le Premier Ministre Lumumba).
Au cours du déjeuner qui suivit la cérémonie, on tenta de réparer cette maladresse qui resta pourtant dans les mémoires congolaises et belges. Il apparut alors que la sérénité de la cérémonie n'était qu'apparente, même si la « déclaration d'indépendance » signée l'après-midi proclamait pompeusement que « le Congo accédait en ce jour, en plein accord avec la Belgique, à l'indépendance et à la souveraineté nationale ».
La célébration de l'indépendance avait un caractère ambigu : les participants n'en étaient pas conscients, mais les auspices n'étaient guère favorables.
Le peuple congolais est naturellement optimiste et bon vivant, capable d'oublier un moment les préoccupations les plus graves pour profiter pleinement de l'instant présent. Ce fut le cas lors de la fête du 30 juin, où le maître-mot fut l'indépendance. Des nuits entières, on dansa sur les rythmes des chansons de l'indépendance, les femmes portaient des pagnes « indépendance », les marchés et les places publiques résonnaient de ce mot magique.
Les interprétations que le peuple donnait à ce mot variaient d'une personne à autre et devenaient parfois fantaisistes : certains y voyaient la fin du règne des Blancs et partant, le retour des ancêtres, les héros locaux. La plupart s'attendait à un retournement de situation, les Noirs remplaçant des Blancs, prenant leurs grosses voitures, leurs grandes maisons et recourant exclusivement à la langue magique, le français.
La propagande électorale, en annonçant l'événement, avait contribué à l'élaboration de ce mythe, par l'emploi d'images fortes qui marquèrent le peuple parce qu'elles correspondaient à un idéal souhaité, le discours politique avait en effet quelque peu exagéré : il avait ainsi promis qu'avec l'indépendance, le travail ne serait plus nécessaire; des machines allaient arriver, qui produiraient directement manioc et maïs, rendant les houes inutiles.
L'indépendance fut donc un grand moment, évoqué avec une passion d'autant plus grande que l'on était conscient de sa précarité. Ces craintes étaient effectivement justifiées. Le Congo indépendant comptait à l'origine trop de forces centrifuges pour ne pas risquer de perdre sa cohésion interne. Mais la formation du gouvernement Lumumba laissa des insatisfaits parmi les représentants de certaines régions, entre autres le Katanga et le Kasaï. On était bien loin d'une véritable cohésion interne : le gouvernement se fondait sur une situation de compromis. L'inimitié entre le Président Kasavubu et le Premier Ministre Lumumba constituait à elle seule un péril pour la politique du pays.
A Léopoldville et dans la plupart des grandes villes, la fête fut intense mais de courte durée. Elle fut vite oubliée quand l'État fraîchement constitué éclata en trois temps : au lendemain du départ des derniers invités venus participer aux festivités, éclatèrent les mutineries de la Force Publique (mercredi 5 juillet). Elles furent suivies, six jours plus tard, de la proclamation de l'indépendance du Katanga (lundi 11). Puis de celle du Sud-Kasaï (lundi 8 août). Enfin le Président révoqua le Premier ministre, qui le révoqua à son tour (5 septembre) ; les Chambres votèrent une motion de confiance en faveur de le Premier Ministre Lumumba révoqué, et le Président Kasavubu répliqua en les renvoyant. L'impasse était totale : l'euphorie de l'indépendance proclamée le 30 juin avait duré un mois, et l'amitié belgo-congolaise qui se voulait le fleuron de ce système colonial ne put résister aux effets de la crise, quelques semaines à peine après la signature en grande pompe du traité liant les deux pays.
La mutinerie de la Force publique coïncida avec l'indépendance. L'événement était inattendu, car il survint exactement au lendemain du départ des derniers invités venus participer aux festivités du 30 juin. Cette mutinerie était pourtant relativement logique. En effet, depuis quelques mois, tous les corps de métier avaient successivement fait grève. Restait la Force Publique. D'autre part, pour ce corps de métier « après l'indépendance » signifiait « avant l'indépendance ». Dans le processus de promotion d'indépendance en cours de réalisation, rien n'était prévu pour les fonctionnaires autochtones en uniforme. Ils ne devenaient ni ministres, ni députés. Ils devaient encore se mettre au garde-à-vous devant des officiers blancs, et qui plus est, et désormais même devant des civils congolais dont certains – parmi ceux-ci le Président et le Premier ministre – étaient hier encore en prison, sous leur garde.
Comme le mouvement de mutinerie était dirigé contre le gouvernement, le Premier Ministre Lumumba réagit en nommant davantage de Noirs au sein de la hiérarchie militaire. Malgré cela, le mouvement s'amplifia et gagna d'autres garnisons. La panique s'empara des familles européennes, victimes de violences et d'humiliations diverses, au point que les troupes métropolitaines durent intervenir, en principe pour assurer la protection des Européens et leur évacuation. Cependant, un climat de violence se substitua aux intentions pacifiques premières. On crut d'abord qu'il s'agissait de méprises. Mais par la suite, après le 9 juillet, force fut d'admettre que le Congo était victime d'une agression. La mutinerie se mua en un conflit militaire avec les troupes belges.
La Belgique fut la première à violer le traité d'amitié et de coopération qui la liait à l'ancienne colonie et ce fut en faveur… du Katanga. Le soir du 10 juillet, un détachement des paracommandos belges fut envoyé à Luluabourg pour sauver un groupe d'Européens qui, se croyant en danger, s'étaient enfermés dans l'immeuble ImmoKasaï. A partir du 13, les « attaques » belges se généralisèrent.
Un climat d'hostilité s'était définitivement installé entre les parties qui, quelques jours plus tôt, avaient signé un traité d'amitié et de coopération. La Belgique se fit l'auteur de ces actes de violence au moment même où le Président Kasavubu et le Premier Ministre Lumumba allaient venir à bout de l'insurrection, en allant d'un camp à l'autre, d'une ville à l'autre, pour parlementer avec les insurgés.
Deux incidents surtout renforcèrent la partie congolaise dans sa conviction que la Belgique, avec ses troupes stationnées au Congo, était déterminée à administrer une dernière leçon à son ancienne colonie. Ils sont liés aux circonstances particulières de la proclamation de la sécession du Katanga et aux événements qui se déroulèrent à Matadi. Les troupes qui intervinrent à Élisabethville, le 10 juillet, s'y installèrent. Cette garnison fût aussitôt rejointe par d'autres compagnies venues de Belgique. Or, le lendemain de cette intervention, on proclamait l'indépendance du Katanga. Le Président Kasavubu et le Premier Ministre Lumumba séjournaient à Luluabourg pour leur mission de pacification et avaient précisément prévu de se rendre à Élisabethville ce jour-là. Ils retardèrent leur voyage d'un jour. Le lendemain ils embarquèrent à Kamina dans un DC 3 piloté par des Belges ; dans la capitale du cuivre, on leur refusa l'atterrissage alors que les troupes belges occupaient la ville. Malgré la nuit tombante, ils durent se replier sur Luluabourg. Le lendemain, le Président et le Premier ministre décidèrent de se rendre a Stanleyville, après une escale à Kindu où ils passèrent la nuit. En décollant à Kindu, ils demandèrent à l'équipage belge de se poser à Stanleyville ; celui-ci les conduisit à Léopoldville (15 juillet). Sur la piste d'atterrissage de N'djili, ils furent conspués voire même bousculés par les réfugiés européens… sous le regard impassible ou plutôt narquois des paracommandos belges. Jamais gouvernants ne furent ridiculisés à ce point dans leur propre pays.
Entre la Belgique et le Congo, les ponts furent coupés. Dans un télégramme envoyé depuis leur escale à Kindu au Premier ministre belge, le Président et le Premier ministre rompirent les relations diplomatiques avec la Belgique (14 juillet). Les raisons invoquées étaient la violation du traité d'amitié selon lequel les troupes belges ne pouvaient intervenir sur le territoire congolais sans l'autorisation expresse du gouvernement de la République, et la violation par la Belgique de l'intégrité du territoire national lors de son intervention dans la sécession du Katanga. En fin de compte, la modeste mutinerie de la Force Publique eut des conséquences incalculables. Elle fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres. A posteriori, son rôle de détonateur apparaît encore plus clairement. C'était d'abord et avant tout une revendication congolaise adressée aux autorités congolaises. Il en résulta une africanisation de la hiérarchie de l'armée – la Force Publique ne comptait jusque-là que 7 sous-officiers autochtones – ce qui ne se serait jamais produit aussi vite sans une telle pression.
L'ancien sergent Joseph Mobutu, de secrétaire d'État, devint chef d'état-major avec le grade de colonel. La Force Publique devint « l'armée nationale ».
La mutinerie eut une autre conséquence importante : un vent de panique provoqua en effet le départ massif des coopérants, colonisateurs d'hier, qui avaient choisi de rester au service de la nouvelle république. Spectacle insolite que celui d'une administration se vidant en moins de huit jours de milliers de fonctionnaires. Même lors de révolutions, on n'avait jamais connu un changement aussi brutal. En réalité. il s'agissait d'une réaction excessive qui répondait à une autre situation elle-même exagérée. Un départ si brutal et si massif ne pouvait mener qu'à une véritable sclérose.
La mutinerie qui suivit les événements du 30 juin fut l'occasion pour la décolonisation de progresser d'un cran. Le processus, encore très éloigné de son achèvement, devait se poursuivre et se poursuivit. La guerre qui accompagna la mutinerie provoqua surtout la première rupture des relations diplomatiques, quatorze jours après la proclamation de l'indépendance réalisée pourtant « en plein accord » entre les deux parties.
La rupture avec l'ancienne métropole eut pour conséquence d'internationaliser presque simultanément la crise congolaise. Au moment où la République du Congo est admise comme État membre de l'ONU, la mutinerie en est à sa troisième journée (7 juillet); le premier appel adressé à cette institution internationale date du 10 juillet, moins de quinze jours après la proclamation de l'indépendance. Il s'agissait d'une demande d'assistance militaire d'urgence. A la suite des interventions militaires belges dans le Bas-Congo, le gouvernement central – en l'absence du Président et du Premier ministre – s'adressa le 12 juillet à l'ambassadeur des USA pour demander le renfort d'un contingent de soldats américains en vue d'aider l'armée congolaise a assurer l'ordre. Il faut voir là une première mise en oeuvre d'urgence de l'aide sollicitée auprès des États-Unis. Simultanément, le Président Kasavubu et le Premier Ministre Lumumba réclamèrent a l'ONU l'envoi d'une aide militaire directe pour protéger la jeune république contre l'agression extérieure. L'objectif de la demande congolaise se précisa le 13 juillet ; elle visait à contrer l'agression des forces métropolitaines. Le Conseil de sécurité qui s'était réuni ce jour-là, constata que la situation au Congo risquait de compromettre le maintien de la paix et la sécurité internationale. Il décida d'envoyer une force des Nations-Unies sur place et demanda le départ des troupes belges. Le 14 juillet, depuis Kindu, le Président Kasavubu et le Premier Ministre Lumumba prirent soin de prévenir l'Union Soviétique que son aide pourrait être sollicitée si le camp occidental ne mettait pas fin à son intervention. Les circonstances pouvaient mener à un conflit international.
On était alors en pleine période de « guerre froide ».
La décolonisation congolaise avait cessé d'avoir pour seuls acteurs le Congo et la Belgique. A présent, plusieurs protagonistes se retrouvaient dans l'arène : la Belgique, l'ONU, les États-Unis, l'URSS, etc. La cible privilégiée de l'internationalisation de cette crise fut le Katanga.
Entretemps le jeune Premier Ministre Lumumba défrayait la chronique, parce qu'il avait réussi en moins d'un mois à décourager une bonne partie de ses amis et à réunir contre lui la plupart des forces en présence. L'ancienne métropole n'était pas prête à oublier « l'injure » faite à son roi, lors de la cérémonie du 30 juin 1960, et la manière dont les relations diplomatiques furent rompues.
Il est donc certain que la Belgique ne manqua pas d'exercer des pressions pour que le Premier Ministre Lumumba soit révoqué. Van Bilsen, à l'époque conseiller du Président Kasavubu, reconnaît que le Premier ministre Eyskens le chargea, le 18 août, de dire à celui-ci que le Premier Ministre Lumumba devait être révoqué et qu'il en avait le pouvoir. L'ONU, quant à elle, suite à la mésentente survenue le 15 août entre son secrétaire général et le Premier ministre, semblait partager cet avis. En effet les menaces fréquentes de faire appel à Moscou, du reste peu disposée a lui fournir l'aide attendue, contribuèrent à isoler le Premier Ministre Lumumba en cette période de « guerre froide » où le monde dit libre et le bloc soviétique s'affrontaient ouvertement dans l'arène de l'ONU. Les pays occidentaux sentaient qu'il gagnait du pouvoir sur le Président Kasavubu et étaient peu enclins à le laisser faire. Pour eux, le chaos du Congo était un moindre mal; il fallait surtout éviter à tout prix que l'ex-Congo belge, vu son importance stratégique, bascule dans le camp communiste.
Le Premier Ministre Lumumba n'était vraisemblablement pas conscient de l'importance de cet enjeu. II semble qu'à ce propos, la CIA ait arrêté deux dispositions : le supprimer physiquement et le faire remplacer par quelqu'un de son envergure, issu du camp lumumbiste mais pro-occidental cette fois. L'oiseau rare promis à ce destin aurait été Mobutu. La décision de l'élimination d'abord politique puis physique fut prise par l'administration Eisenhower à la mi-août lorsque le Premier Ministre Lumumba décida de rompre avec l'ONU.
Comme il se montrait prêt a tout pour ramener le Katanga dans le giron congolais, on le soupçonna d'être capable de faire basculer le Congo dans le camp communiste; il sollicita effectivement de 1'URSS une implication militaire directe. Il semble que son assassinat avait été prévu pour le 26 août. Une première tentative, tout à fait rocambolesque, il faut le dire, consista à introduire un poison mortel dans ses aliments ou sur sa brosse à dent. On ne fit appel à un spécialiste de ce genre de mission que vers le 19 septembre, mais un imprévu l'empêcha de passer à l'action. La seconde tentative eut lieu en novembre alors que le Premier Ministre Lumumba avait projeté de se rendre à Stanleyville. Le plan consistait à l'y précéder et à l'abattre à son arrivée.
Le Premier Ministre Lumumba était déjà l'objet d'une opposition systématique de la part de certains de ses compatriotes, dont quelques-uns étaient soutenus financièrement par les Belges et les Américains. Ces ennemis comptaient même des complices au sein de son propre gouvernement. Au Parlement, le groupe Abako lui faisait carrément la guerre parce qu'il s'opposait à la réalisation de son projet d'un Bas-Congo fort avec Léopoldville pour capitale. Le Premier Ministre Lumumba était devenu beaucoup trop gênant.
Le Président Kasavubu n'avait certainement pas décidé spontanément de révoquer le Premier ministre. De nombreuses pressions tant intérieures qu'extérieures l'y amènent. Il est également établi qu'il avait eu vent des complots qui se tramaient en vue d'assassiner le Premier Ministre Lumumba.
Toujours est-il que le 5 septembre, à 20h10, dans une brève allocution qui interrompit les programmes de la radio, le président apprit à la population congolaise que le Premier ministre (qu'il qualifia dans son émotion, de premier bourgmestre) était révoqué car « …Il a recouru à des mesures arbitraires qui ont provoqué la discorde au sein du gouvernement et du peuple. Il a gouverné arbitrairement. Et maintenant encore, il est en train de jeter le pays dans une guerre civile atroce ». Une véritable stupeur s'empara de la population, qui ne s'attendait nullement à cette décision.
Qu'allait faire le Premier Ministre Lumumba ? On n'eut guère le loisir de se poser trop de questions car sa voix retentit peu après sur les mêmes ondes et les propos qu'il tint étonnèrent davantage encore les auditeurs : « Le gouvernement populaire reste à son poste. A partir d'aujourd'hui, je proclame que le Président Kasavubu qui a trahi la nation, qui a trahi le peuple pour avoir collaboré avec les Belges et les Flamands, n'est plus chef de l'État ».
Une véritable coalition d'opposition anti-lumumbiste s'était constituée à Brazzaville avec l'aide discrète de la Belgique et le soutien du Katanga. Elle disposait d'un émetteur radio – radio Makala – qui déversait, par-delà le fleuve, un flot de propagande contre le Premier Ministre Lumumba et ses collaborateurs.
Le Premier Ministre Lumumba mit son offensive au point et misa sur les Chambres dont il sollicita les pleins pouvoirs. Face à cette situation juridique délicate, le Parlement réagit en annulant d'abord les deux destitutions. Ensuite, réunies en « Congrès national », les deux Chambres décidèrent de constituer une commission de Sages chargée de réconcilier les deux dirigeants.
Un projet d'accord fut même élaboré portant sur la répartition de compétences entre les deux fonctions. En réalité, cette réconciliation était impensable car trop de personnes avaient intérêt à ce qu'elle ne se fasse pas. Les Américains y étaient farouchement opposés, de même que les Belges.
Le Premier Ministre Lumumba parvint à obtenir auprès des Chambres les pleins pouvoirs qu'il avait sollicités (13 septembre). Fort de cette assurance, il sollicita l'appui de l'ONU pour faire prévaloir sa légitimité. Le 14 septembre, le Président annula les pleins pouvoirs accordés à le Premier Ministre Lumumba.
Seule la présence de l'ONU empêcha le pays de sombrer dans une violente guerre civile entre les partisans des deux antagonistes. le Premier Ministre Lumumba opta pour la lutte directe, abordant la foule pour la haranguer au risque de se faire arrêter. Dès le 6 septembre, un mandat d'amener fut lancé contre lui. Sur base de celui-ci, on l'arrêta le 11, mais il fut aussitôt relâché grâce à l'intervention du général Lundula, commandant en chef de l'ANC (Armée Nationale Congolaise). Le président réagit aussitôt et démit celui-ci de ses fonctions.
Le 15 septembre le Premier Ministre Lumumba, en essayant de rallier les militaires à sa cause au Camp Léopold, se trouva face aux soldats originaires du Sud-Kasaï qui s'en prirent violemment à lui. Il se réfugia au mess des officiers et ne dut son salut qu'à la protection de l'ONU. Son initiative était aussi excessive qu'inutile ; en effet, la veille, le mercredi 14 septembre à 20h30, le Colonel Mobutu avait proclamé la « neutralisation » des institutions politiques, interdisant au Président Kasavubu, à le Premier Ministre Lumumba, à Iléo et au parlement toute initiative et toute activité.
Cette fois, le Premier Ministre Lumumba comprit que le temps travaillait contre lui. Aussi ordonna-t-il à ses fidèles et aux cadres lumumbistes menacés de gagner Stanleyville par tous les moyens. Cet ordre émanait à la fois de le Premier Ministre Lumumba lui-même et des différents leaders des partis prolumumbistes. Il était prévu que, depuis Stanleyville, les lumumbistes exerceraient une pression vigoureuse en faveur de la libération de leur leader. En effet, à Léopoldville où il se retrouvait en résidence surveillée dans sa villa, le Premier Ministre Lumumba devait la vie à l'ONU.
La complicité internationale, habilement orchestrée par le colonel Mobutu au détriment de le Premier Ministre Lumumba, permit au Président Kasavubu de se faire reconnaître le 23 novembre par l'Assemblée générale de l'ONU comme seul pouvoir légal au Congo. le Premier Ministre Lumumba comprit alors qu'il devait faire vite : non seulement de nombreux lumumbistes arrêtés étaient acheminés à la prison de Luzumu mais ses amis du camp progressiste se trouvaient désormais dans une position diplomatique délicate vu l'option prise par l'ONU. Il décida de se rendre à Stanleyville mais se fit arrêter quelques jours plus tard. Conduit à Léopoldville, le Premier Ministre Lumumba fut finalement transféré à Thysville sous la garde des troupes d'élite.
Que fallait-il faire du Premier Ministre Lumumba ? On pensa d'abord préparer un procès pour le juger pour ses crimes. Cependant, à l'époque, le Président Kasavubu était plutôt préoccupé par la réconciliation nationale. Une « table ronde » était en préparation où l'on espérait voir siéger aussi bien des représentants du Katanga, du Sud-Kasaï, que ceux du camp lumumbiste. Les Occidentaux voyaient là une nécessité de susciter le « front commun des modérés », soit une réconciliation d'Élisabethville, Bakwanga; et Léopoldville qui mettrait un terme au combat contre le camp lumumbiste. Les différents conseillers militaires européens, pour la plupart des anciens de la Force Publique qui entretenaient des relations confraternelles malgré les oppositions existant entre les chefs congolais, s'arrangèrent pour que l'on exclue à l'unanimité le Premier Ministre Lumumba du projet de la table de négociation. Mais que faire ? Le transférer en un lieu sûr et le confier à ses pires ennemis du Sud-Kasaï ou du Katanga ? Il en avait déjà été question, mais aucune décision n'avait été prise. Au début du mois de janvier les incidents qui survinrent précipitèrent le cours des choses.
Stanleyville qui, depuis le 13 décembre, s'était proclamée le « seul gouvernement légal du Congo » venait de se révéler comme un véritable danger.
Une situation nouvelle se dessinait dans la capitale et dans ses environs immédiats où l'on enregistra à nouveau, du 7 au 14 janvier, une succession de mutineries militaires à Thysville et à Léopoldville. Les problèmes de soldes, de grades et d'inégalités furent à nouveau évoqués. Il devenait urgent pour le pouvoir de Léopoldville de régler le problème le Premier Ministre Lumumba, au risque de le voir resurgir à la faveur de l'effervescence qui gagnait les camps militaires. En effet, une fois arrêté, le Premier Ministre Lumumba s'attira à nouveau la sympathie de quelques-uns. Manifestement le temps travaillait pour lui. Même à l'ONU, la pression en faveur de sa libération, se faisait plus forte et plus pressante. A Washington, le républicain Eisenhower allait quitter le Maison Blanche. L'investiture du jeune démocrate élu, J.F. Kennedy, était prévue pour le 20 janvier. Il fallait en finir avec l'affaire le Premier Ministre Lumumba avant cette échéance.
La journée du mardi 17 janvier, la dernière que connut le Premier Ministre Lumumba, fut l'une des plus longues. Pour le Premier Ministre Lumumba, la journée commença vers 4h30 du matin, lorsqu'il quitta sa prison, escorté de deux ou trois soldats. Le chef de la sûreté était porteur d'une levée d'écrou en bonne et due forme, probablement signée par le Président Kasavubu. le Premier Ministre Lumumba manifesta une certaine résistance dont on vint rapidement à bout. Un petit convoi se forma, qui prit la direction de Matadi pour se rendre à Lukala où attendait l'avion d'Air-Brousse.
L'annonce d'un « colis précieux », à l'arrivée de l'avion, créa la surprise parmi les responsables Katangais et leurs conseillers belges. Tshombe se trouvait quant à lui dans une salle de cinéma de la ville où on projetait un film sur le réarmement moral.
Les prisonniers sortirent de l'avion contusionnés mais vivants. Ils furent emmenés aussitôt dans une villa isolée où des soldats s'acharnèrent sur eux, puis ils furent conduits 20 km plus loin sur la route de Likasi où on les acheva.
Une nouvelle page de la « crise congolaise » allait être tournée quand on annoncerait près d'un mois plus tard que les prisonniers « s'étaient enfuis » et qu'ils avaient été « massacrés par la population ». Personne ne fut dupe. Cette nouvelle venait confirmer la rumeur qui circulait déjà.
La tension fut vive à l'ONU et dans le monde. On enregistra un peu partout d'importantes démonstrations de protestation contre la Belgique, les USA et l'ONU : du Caire et à Djakarta, des ambassades belges furent saccagées ; il y eut des manifestations à Copenhague, Varsovie. Prague, Tokyo, Dakar, Johannesburg, Téhéran, Athènes, Montréal, Singapour, La Havane, Lima, Caracas, Los Angeles, Bonn et Tel-Aviv. En Afrique, le Premier Ministre Lumumba fut porté au rang de héros.
Le 30 juin 1966, le président Mobutu le proclama officiellement « héros national ».
Le Premier Ministre Lumumba avait été victime à la fois de son idéalisme, de son radicalisme et de sa formation politique insuffisante, limitée à quelques lectures personnelles. En effet, en deux mois de gouvernement, il avait accumulé une série quasi exceptionnelle d'erreurs politiques, depuis le discours inutilement iconoclaste du 30 juin jusqu'à la « fuite » vers Stanleyville.
Le sang du martyr déchaîna les passions à l'égard du pays, lequel, à l'image du monde en proie à la « guerre froide », se scinda en deux pôles : d'une part Léopoldville, dominée par le « groupe de Binza », et d'autre part Stanleyville, qui devint le bastion des « nationalistes ». Chaque camp se préoccupa de résoudre le problème des sécessions. Dans le même temps deux sensibilités nationalistes, tout à fait différentes et parfois divergentes, avaient vu le jour et allaient marquer le cours de l'histoire future du pays.
L'opposition entre le Premier Ministre Lumumba et le Président Kasavubu fut le symbole d'une lutte d'influence plus importante, au lendemain de l'indépendance entre les « modérés » et les « radicaux », le Président Kasavubu représentait l'aile modérée, accommodante vis-à-vis du pouvoir colonial d'hier, et soutenue par les forces occidentales (Belgique, USA, ONU). le Premier Ministre Lumumba constituait la figure de proue de la tendance « révolutionnaire », favorable au changement radical et davantage tournée vers les pays socialistes, notamment vers l'URSS évoquée à tout moment comme la seule alternative possible à toute défaillance du camp occidental dans la gestion des affaires du Congo. Le camp le Président Kasavubu, bien qu'opposé aux sécessions katangaise et sud-kasaïenne, était allié à celles-ci puisque il était soutenu par les mêmes puissances occidentales. Au demeurant, tout le monde savait que, si l'on n'avait pas installé en toute hâte le Président Kasavubu sur le fauteuil présidentiel, celui-ci aurait été le premier sécessionniste. L'histoire politique du Congo qui se déroula suite aux initiatives des modérés est assez connue. Elle eut pour cadre essentiellement le Sud, avec Léopoldville pour la tête et Élisabethville pour le cœur.